André GIDE (1869-1951). Lettre autographe signée à René Salomé. Cuverville en Caux, 20 février (19)20. 3 p. et demi, in-8. Très belle lettre à René Salomé, à propos d'un article de lui sur " La Symphonie pastorale ", " l'Immoraliste " et " La Porte étroite " et du rôle de la critique : Monsieur, … je lis avec un intérêt très vif votre article sur La Symphonie pastorale. Je passe outre vos louanges que je ne sais si je les mérite … il ne me semble pas que vous vous éclairiez comme il faut les raisons qui me font écrire, de sorte que je doute si, dans vos critiques, c'est bien contre moi que vous avez raison. Vous semblez croire que l'ennui et l'inquiétude habitent mon âge et que chacun de mes livres marque un effort pour y échapper ; effort vain… oserai-je vous affirmer qu'il n'est pas de sentiments qui me soit plus étranger que l'ennui. Je m'avance du plus calme et du plus souriant que je peux, sur une route de crête, ayant grand soin de ne verser ni de gauche ni de droite. Les abîmes qui bordent la route … si j'y roulais moi-même, je ne serai plus à même de les décrire de la manière que je fais … le complaisant danger que présente la libre interprétation de l'écriture … ce sont là les critiques que vous faites à mon Immoraliste, à ma Porte étroite, à ma Symphonie. Mais ce ne sont pas là précisément les sujets mêmes de ces livres, et pensez-vous vraiment que je les eusse écrits, si ce n'était pour y montrer ce que vous semblez y découvrir malgré moi ? Mon tort est sans doute de laisser le lecteur s'y méprendre, et votre rôle à vous est bien de l'avertir ; mais persuadez-vous, je vous en prie, que cette lucidité de style, que je vous sais gré de reconnaître à mes écrits je ne l'obtiendrais point si je m'étais " laissé séduire "…