Claude FARRERE (1876-1957). Lettre autographe signée à sa sœur Suzanne Jules Mas. Biarritz, 22, 23 avril 1945. 16 p. in-4 et une enveloppe adressée à la même. Longue lettre dans laquelle il fait d'abord référence à une photographie de deux jeunes filles qui l'a profondément troublé : Regarde, elles sont délicieuses. Ö Suzanne ! Quel affront ! J'ai mordu ma langue pour ne rien dire… Car on m'a répondu : - Oui, charmantes… Mais je ne perdais pas des yeux le visages, ni les yeux… Changeant de sujet, il se référe à Colette : A moi Colette la Grande … on accuse toujours Colette de vice. - et bien non elle n'est pas vicieuse. Qu'elle ait glissé ça et là sur le terrain boueux oui - mais pas exprès, pas d'instinct. Et l'instinct vrai de Colette est là, dans cette bataille avec sa grande amie (dont je fus stupidement jaloux, jadis !) Renée Parny, le montre à l'évidence. Elles devaient avoir 24 ou 25 ans chacune quand elles se prirent aux cheveux, à propos de la chatte, Kiki-la-Doucette… " pour rien… pour le plaisir ". Il se plaint de ne pas avoir fait appel à elle pour la gestion de ses contrats : O ma sagesse, que n'êtes vous ma surintendante des finances … ma sœur-amie, pourquoi sitôt vos filles mariées, le bon Dieu n'a-t-il pas permis que nous nous rencontrions alors … et que vous acceptiez, dès 1922, ou 24 (j'étais libre alors ! ) d'être mon ministre des affaires extérieures ? relations avec éditeurs, impressarios, directeurs, scène, cinéma … vous m'auriez fait gagner des millions, et vous en auriez eu, il enchaine ensuite sur sa carrière littéraire : quels rêves, soeurette !... mais quel homme vous auriez fait de moi ! - En 1924, tenez, ma seconde vie littéraire commençait … songez que mon talent n'a rebondi qu'avec La Marche funèbre, en 1929. Il fait référence aux difficultés de son travail : vous avez eu les premiers placards corrigés de La Seconde porte … vous avez pu voir un bout du travail qui reste à faire sur un livre, après le manuscrit achevé … mais pour vous donner une idée de ce suprême travail - le dernier - j'ai recopié pour vous mes corrections… Suit une longue liste des corrections qu'il a dû faire et les reproches qu'il fait aux éditeurs de ne pas corriger eux-mêmes l'orthographe et la syntaxe des phrases, Eh bien, soeurette, au bout de 37 ans, c'est encore moi tout seul qui me corrige. Il compare Marcel Pagnol à ses contemporains : je ne le connaissais qu'à peine. J'ai dû lui écrire l'autre jour à propos des élections de la SACEM … voici sa réponse que j'ai trouvé bien … Pagnol a un beau talent qui n'a rien de morbide. Assez de Mauriac, de Duhamel, de Gide, et autres Cocteau, tous gens malades, donc médiocres en dépit parfois d'une apparence artiste. Que je préfère les gens nets et sains, - tels Courteline, Donnay, Lavedan, et… oui : Colette… Pagnol … j'arriverai à vous persuader de trouver dans Colette … le fond solide et loyal qui s'y trouve. Il reproche à sa sœur son orthographe tout en l'excusant : Soyez tranquille : personne ne dira jamais que vous avez une orthographe de cuisinière … orthographe impeccable ? je n'ai jamais connu que ma mère et Pierre Louys à posséder cet instinct là… Il donne ensuite des nouvelles de ses derniers travaux : Alors, Spark vous a intéressée, même à travers mes explications laborieuses ? et vous voulez savoir la fin ? et bien la voici : suit un long passage sur l'ouvrage et un commentaire : je songe à notre La Varende… son âge, en face d'une enfant de 20 ans. - ou de 24, rend sa défaite inévitable et prompte - dans un sens - mais sera-t-il vaincu, même alors ? surtout si son oeuvre a été grandie ? … je songe que ma sagesse, si rigide quand il s'agit d'elle, est mystérieusement indulgente quand il s'agit des autres…