Figure majeure de l’avant-garde, Francis Picabia a manifesté dès ses premières créations un cynisme provocateur qui n’aura été mis à jour qu’à la fin des années 1990, lorsque des historiens de l’art ont dévoilé sa méthode de travail fondée sur la transformation d’images préexistantes. Ainsi, les premières toiles impressionnistes de Picabia, conformes au goût de l’époque, ont pour sources visuelles de plaisantes cartes postales, et ses œuvres machinistes de l’époque dadaïste, des illustrations du magazine La science et la vie. C’est suivant cette logique implacable que les œuvres post-dada de la fin des années 1930, longtemps décriées pour leur esthétique mêlant kitsch et académisme, ont pour origine des revues de charme ou populaires de l’époque, telles que Paris Sex Appeal ou Paris magazine. Si la source visuelle du portrait « Sans titre » (1940) ici présenté lors de notre vente d'Art Moderne et Contemporain n’a pas été retrouvée, il est probable que Picabia l’ait exécuté à partir d’une photographie publiée dans un journal de l’actrice Josette Day. Cette figure du cinéma français qui était, rappelons-le, l’épouse de Marcel Pagnol et dont le nom sera associé à La Belle et la bête de Jean Cocteau (1946), aura retenu l’intérêt du peintre à plusieurs reprises. Il existe en effet un autre portrait peint de l’actrice, exécuté un peu plus tardivement (1941-1943) à partir d’une photographie parue dans Paris Magazine en 1937, intitulé Femme au serpent. Dans notre tableau, le passage de la photographie à la peinture se décèle dans l’aspect convenu de la pose du visage, l’espace compressé, la chair soumise à des éclairages crus. Cette figuration réaliste, au caractère âpre et tranchant, témoigne d’un rejet radical des qualités traditionnellement attribuées à la peinture : expression de la sensibilité, de la subjectivité, marque d’inspiration etc. Comme l’a parfaitement énoncé l’historien de l’art spécialiste de l’artiste, Arnauld Pierre, dans le catalogue de la rétrospective consacrée à Picabia en 2002 au Musée d’art Moderne de la Ville de Paris : « Loin de restaurer un genre que la tradition avait placé au sommet de l’accomplissement artistique, Picabia continue d’élaborer un simulacre de peinture, une peinture au second degré, par laquelle ne passe aucune expérience authentique et directe du réel - une peinture sans aura ».
Lot 16 - Francis Picabia (1879-1953)
Sans titre, 1940
Huile sur carton marouflé sur toile
Signé en bas à droite, daté en bas à gauche
45.5 x 37.5 cm
Estimation : 120 000 - 180 000 €
