Actualités

Man Ray et Le Beau Temps : Une Étude Visionnaire de l'Apogée Surréaliste

29 mai 2024

Cette œuvre (lot 29) est une étude presque complète pour le tableau monumental de Man Ray intitulé Le Beau temps, peint en 1939 et conservé au Philadelphia Museum of Art. Elle est considérée comme la plus belle peinture surréaliste de Man Ray, celle qu’il a conservée jusqu’à la fin de sa vie.

Alors qu’il se rend à Copenhague en 1933, Man Ray change de train à Hambourg: « ... Je suis passé par Hambourg le jour de l’arrivée au pouvoir d’Hitler. C’était comme si la vie s’était arrêtée, il n’y avait personne dans les rues ni dans les parcs »1. Alors qu’il s’abstenait habituellement de partager son opinion sur les affaires politiques et l’actualité, Man Ray se sent manifestement mal à l’aise. Ses craintes augmentent au cours des années suivantes, alors qu’il observe la guerre civile en Espagne, le bombardement allemand de Guernica en 1936, la persécution du peuple juif et des activités en Allemagne. En 1938, des visions prémonitoires effrayantes, certaines issues de ses rêves, commencent à apparaître dans ses peintures et ses dessins. Ces compositions représentent des mains dominatrices, la peur, la fuite, des paysages arides et du sang. Juif, il ne peut rester en France sous l’occupation et est contraint de fuir en août 1940 pour retourner dans son pays d’origine, l’Amérique.

Après avoir abandonné la photographie commerciale en 1937, l’artiste revient à sa passion du dessin et de la peinture. « Je n’avais presque pas de travaux photographiques (récents), je me suis donc tourné vers la peinture et j’ai exécuté plusieurs grandes toiles. L’une d’entre elles était une composition de plusieurs rêves, réalisée dans des couleurs brillantes et en utilisant toutes les techniques, de l’impressionnisme au cubisme et au surréalisme (...). Une nuit, j’ai entendu des coups de feu lointains et, lorsque je me suis rendormi, j’ai rêvé que deux animaux mythologiques s’égorgeaient sur mon toit. J’en ai fait une esquisse que j’ai incorporée dans le tableau de rêve que j’ai appelé « Le Beau Temps » ».2 Cette « peinture de rêve », exécutée en 1939 et suivie d’itérations ultérieures, sera qualifiée par Man Ray d’apogée de la peinture surréaliste et sera considérée par lui comme l’une des réalisations les plus significatives de toute sa carrière.


Man Ray (Philadelphie, 1890 – Paris, 1976)
Le Beau temps, 1939
Estimation : 60000 / 90000 €


La présente étude (lot 29), tout comme le tableau, révèle une riche iconographie, peut- être l’une des plus complexes jamais conçues par Man Ray. Rassemblant toute son énergie et résumant nombre de ses préoccupations du moment, l’artiste a assemblé des motifs inspirés du rêve, reflétant non seulement sa propre situation, mais aussi l’ambiance générale de la guerre mondiale imminente. Comme l’observe l’artiste, « Le tableau est moins prophétique qu’il n’est un témoignage du passé, comme un baromètre avec une carte dans laquelle on peut lire ce qui s’est passé avant, en déduisant la tendance pour l’avenir »3.

La porte de séparation, le combat d’animaux sur le toit de la maison, la silhouette d’Arlequin, ainsi que le billard, que l’on retrouve dans le tableau de Man Ray La Fortune, 1938 (Whitney Museum of American Art, New York), offrent une scène conflictuelle d’incertitude et d’inquiétude. Alors que la partie droite du dessin présente les bons temps de la vie d’avant-guerre, la partie gauche, séparée par la porte à panneaux, dépeint une scène très différente, celle de la destruction et de la violence, conséquences de la guerre. Ici, la figure principale ressemblant à un arlequin, composée de formes polyédriques et d’une tête présentée comme une lanterne de lumière, pourrait être Man Ray lui-même, puisque André Breton l’appelait « l’Homme à la tête de lanterne magique »4. Embrasé d’orange et de rouge flamboyants, le mannequin se tient dans un paysage aride et brûlé, où des tridents représentés par des arbres dénudés et un mur de pierre brisé témoignent de la dévastation. Cette figure, ainsi que son pendant géométrique aux traits mathématiques, s’inspirent des modèles mathématiques que Man Ray avait photographiés en 1935 à l’Institut Henri Poincaré.

Malgré une fidélité frappante, la présente étude omet certains éléments par rapport au tableau : il n’y a pas de sang qui coule par le trou de la serrure, pas de livre ouvert représentant le défi mathématique de la quadrature du triangle et pas de couple enlacé dans l’immeuble à l’arrière-plan.

Avec son esprit visionnaire et intuitif, Man Ray démonte la façade de la réalité apparente et en révèle toutes les ambiguïtés dans ce dessin savamment orchestré. Mosaïque de symboles improbables et reflet d’un moment historique crucial, Le Beau Temps est l’une des plus grandes réussites surréalistes de Man Ray, où l’illusion du «beau temps» s’évanouit en un simple souvenir ou un dernier souffle d’espoir.

Craignant la perte ou la destruction de ses versions du Beau temps de 1939 qu’il a laissées en France, Man Ray peint des variantes en 1941, une fois installé à Hollywood.



Man Ray Expertise Committee

Vente associée

La collection Geneviève et Jean-Paul Kahn du Surréalisme au Pop Art

Paris mercredi 5 juin 19:00 Voir les lots

À découvrir